Le mouvement de rationalisation juridique des politiques foncières engagé avec les ordonnances-lois 74-1 et 74-2 du 06 juillet 1974 fixant respectivement le régime foncier et le régime dominical, travaille effectivement à codifier le droit foncier dans un sens à la fois territorial et impersonnel autant que marchand et fonctionnel. C’est dans la même optique que s’inscrivent les lois modificatives des ordonnances de 1974 et leurs décrets d’application ainsi que la Loi 85-09 du 4 juillet 1985 relative à l’expropriation pour cause d’utilité publique et aux modalités conséquentes d’expropriation. La visée libérale de cette gouvernance foncière modelée par ses références juridiques, s’aperçoit à travers les mesures concernant l’immatriculation foncière.
Les Décrets n° 2005/178 du 27 mai 2005 portant organisation du Ministère des Domaines et des Affaires Foncières et n° 2005/481 du 16 Décembre 2005 édictés pour modifier et compléter certaines dispositions du décret n° 76/165 fixant les conditions d’obtention du titre foncier avec le souci prédominant de conforter l’appropriation et la valorisation marchandes et bourgeoises de la terre au Cameroun. Ce faisant, la gouvernance foncière se montre plus réceptive à la prise en charge des préoccupations et intérêts coutumiers soucieux de faire valoir des conceptions attentives à la source communautaire des règles et régulations foncières. Par ailleurs, les mesures normatives et procédurales de réforme libérale du droit et de la politique de la terre ne prennent pas en charge la protection contre les stratégies prédatrices et déprédatrices d’accumulation des terres menées dans une perspective quasi-latifundiaire par les élites politiques ou économiques locales de pouvoir.
La question de la gouvernance foncière au Cameroun est une problématique sensible. En effet, elle renvoie à des enjeux politiques, économiques, sociaux et culturels qui en expriment le caractère multidimensionnel. Si la gouvernance foncière est une problématique délicate c’est parce que la terre fait l’objet d’appréhensions et d’appropriations à la fois concurrentes et divergentes révélatrices de l’hétérogénéité des orientations des acteurs sociaux individuels ou collectifs à ce sujet.
C’est que la perspective dominante de capitalisation et de marchandisation de la terre au Cameroun n’est pas partagée par tous les acteurs et les opérateurs sociaux.
Le Cameroun renforce entre les années 2000 aux années 2010, le mouvement d’harmonisation de son droit foncier, s’inscrivant dans une visée résolue d’unification de celui-ci. Le train de mesures normatives et procédurales à travers lequel s’exprime et s’organise la mise en forme et en place de la politique foncière au Cameroun, participe de l’alignement des autorités institutionnelles camerounaises sur le standard néo-libéral et globalo-libéral d’un droit foncier prioritairement modelé par des intérêts capitalistes et marchands. Ainsi, la réforme foncière initiée en 1974 est fondée sur des bases juridiques et politiques permettant à l’État central camerounais de se poser en plateforme principale dans un aménagement substantiellement libéral des règles gouvernant la politique et le droit en matière foncière.
La montée en puissance des logiques léonines des contrats de concession foncière conclus entre l’État camerounais et des grands groupes industriels, logiques formées au détriment des collectivités coutumières riveraines de ces domaines fonciers, souligne la difficulté pour les acteurs communautaires de faire valoir la protection de leur patrimoine foncier dans le cadre d’un droit régalien beaucoup plus préoccupé de faciliter la promotion des intérêts marchands et capitalistes. Cette logique vient impliquer un contexte déjà marqué par les manœuvres des élites communautaires pour exploiter à leur profit le patrimoine foncier coutumier en le commercialisant à des fins personnelles. Particulièrement en ce qui concerne l’emprise foncière hégémonique créée au profit de certains groupes agro-industriels, il apparaît difficile aux chaînes coutumières de défendre avec efficacité la propriété foncière communautaire au Cameroun face à la montée de la marchandisation de la terre.
La mise en place de l’harmonisation des normes foncières travaille surtout à garantir politiquement et juridiquement la dynamique socio-économique d’immatriculation foncière ; laquelle dynamique favorise la capacité contractuelle d’acquisition et de valorisation des terres au Cameroun détenue soit par les élites politiques et économiques directement ou indirectement liées aux classes gouvernantes, soit par des entreprises et par des entrepreneurs ou investisseurs étrangers liés à des intérêts de multinationales. Par ailleurs, la marchandisation de la terre favorise le développement renforcé des tactiques d’appropriation privative des terres relevant des domaines étatiques ou coutumiers par les élites bureaucratiques usant et abusant alors de leurs positions administratives de décision et de pouvoir au sein de l’appareil d’État camerounais pour détourner à leur profit ces terres.
La gouvernance foncière camerounaise pâtit aussi des difficultés rencontrées dans la mise en œuvre exigeante et intransigeante des dispositions diverses du droit foncier en raison des conflits de compétence survenant régulièrement à ce propos au sein des administrations publiques ; lesquels conflits sont à résoudre pour faciliter le mouvement de standardisation néo-libérale de ce droit. Cette dynamique de gouvernance foncière doit aussi faire face à la multiplication des litiges fonciers liés à la marchandisation de la terre. Une telle inflation contentieuse révèle les insuffisances persistantes quant à la sécurisation juridique de la propriété foncière au Cameroun.
La dynamique décisive de marchandisation de la terre au Cameroun modèle largement la gouvernance foncière, faisant que les intérêts marchands et contractuels y renforcent leur emprise, ceci au détriment de l’intérêt général ou républicain.
Cette dynamique rend aussi difficile la prise en charge des intérêts coutumiers et communautaires. Ceci révèle alors le besoin de renforcer la concertation avec les différents acteurs et milieux sociaux pour prendre en compte leurs attentes en matière de gouvernance foncière au Cameroun, particulièrement pour prendre en charge les impératifs de sauvegarde ou de redistribution des terres ; lesquels impératifs sont fortement compromis par les pratiques d’accaparement des terres.