Ce texte d’Olivier IYEBI MANDJEK a été publié dans la revue ENJEUX , n°28 La Guinée équatoriale : un portrait géopolitique numéro spécial (juillet- septembre 2006)
Au moment où il est fortement question d’associer les populations à la gestion de l’environnement pour le préserver d’une destruction totale, la Guinée Équatoriale se signale par des lois, qui datent du début du siècle (1904) attribuant à chaque village des espaces communautaires (reservas de poblados ou réserves villageoises). L’intérêt de l’étude de ces lois et des problèmes soulevés par leur mise en application se situe dans la primauté de la Guinée équatoriale en matière de forêts communautaires au sein des pays de la sous région.
La mise en place de ces réserves et leur gestion par l’état et les communautés villageoises touchent à tous les problèmes que connaît une jeune nation.
Cet article, fruit d’un court séjour en Guinée Équatoriale, au sein du projet CUREF (Conservation et Utilisation Rationnelle des Écosystèmes Forestiers en Guinée Équatoriale) n’offre qu’une vue partielle. Toutefois, il a le mérite de mettre en exergue les problèmes liés à l’implication des populations dans la définition et la mise en œuvre de leur développement, à travers l’acquisition et la gestion des réserves forestières. Il a également la prétention d’attirer l’attention sur les pièges et les écueils sur lesquels ne manqueront pas de tomber les États qui aujourd’hui essaient d’associer les populations à la gestion des écosystèmes forestiers. Il s’attachera à en dénombrer certains, en essayant d’analyser les divergences de vue entre les différents acteurs dans la problématique des forêts communautaires (l’État, les communautés villageoises et la communauté internationale).
LES RESERVAS DE POBLADOS : des lois en avance sur le temps
La Guinée équatoriale est un territoire conquis par l’Espagne Les lois qui associent les communautés villageoises à l’exploitation des ressources de la forêt en Guinée Équatoriale datent de l’époque coloniale. Une stratégie de désengagement de la métropole, vis-à-vis du développement local, semble avoir été à leur origine. L’Espagne ne voulait pas ou ne pouvait pas s’investir dans le développement des populations de la Guinée équatoriale. Elle ne voulait pas non plus s’engager dans la structuration de ce territoire par la mise en place de véritables infrastructures de développement. Elle a donc cherché à promouvoir un auto-développement des villages par l’attribution de forêts communautaires. Celles-ci, dont l’exploitation générerait des ressources, donnaient ainsi la possibilité à chaque village de promouvoir son propre développement en se dotant des infrastructures de base (écoles, église et centre de santé). Les sommes enjeu étaient gérées par les consejos de poblados de chaque village.
L’objectif initial de cette loi de 1904 ne semblait pas s’orienter vers la création d’une dynamique de conservation ou de gestion durable du patrimoine ainsi attribué, car on n’entrevoit nulle part une quelconque formation sensibilisation visant à pousser les populations à gérer durablement ou à reboiser (au moins leurs parcelles), pour rendre possible cette exploitation aux générations futures. Vues sous cet angle les communautés villageoises devenaient donc de mini exploitants forestiers, avec la même logique que les grosses sociétés.
La pression ainsi exercée sur les ressources a amené les autorités à tenter de mettre bon ordre dans cette exploitation «communautaire», mais cela n’est pas allé sans un certain nombre de problèmes qui transparaissent dans les différentes phases de l’évolution de la réglementation. L’application de celle-ci a révélé un certain nombre de problèmes auxquels il a fallu s’attaquer très tôt. La délimitation des aires à céder aux villageois et le statut juridique de ces forêts en font partie.
La détermination d’une base de calcul des superficies des reservas de poblados
En 1904, les limites de chaque forêt villageoise sont déterminées par le gouverneur de la colonie, en fonction des nécessités actuelles et du développement matériel et économique de l’ensemble de la population (Edjang Avoro, 1997). Cette méthode laissant une large part à l’arbitraire, il a fallu réviser la loi et y introduire une mesure plus objective pour le calcul des superficies des forêts villageoises.
La révision en 1954, du texte de 1904 introduisit une base pour le calcul de la surface des forêts communautaires : celles ci seront attribuées au pro rata de la population totale des villages, à raison de 2 ha par individu. Cette base de calcul laisse supposer que la superficie de la forêt n’est pas statique: elle devra évoluer en fonction du croît démographique. Or le législateur ne semble pas avoir expressément prévu ce réajustement.
Cette base de calcul adoptée en 1954 a introduit un biais que le législateur a cherché à rectifier. L’attribution d’une superficie par tête pouvait en effet amener à penser à une gestion individuelle ou familiale des réserves. Or la loi ne semblait (et ne souhaitait ?) pas prévoir une évolution en ce sens. Pour éviter tout malentendu, elle parlera successivement de propriedad colectiva de poblado, puis de reserva de poblado, marquant ainsi la volonté du législateur de conserver à ces forêts un caractère collectif. Toutefois, une unité de mesure per capita pouvait, le cas échéant, constituer un paramètre utilisable par les populations pour le partage des bénéfices de la forêt communautaire.
Forêts communautaires et statut foncier
Par ailleurs, la loi de propriété de 1948, introduit le caractère privé et collectif de ces réserves. Les terres concédées au titre des reservas de poblados sont considérées comme patrimoine ou propriété villageoise privée à caractère collectif, dont l’utilisation et la jouissance reviennent à la communauté des habitants de chaque village (Edjang Avoro, 1997).
Des procédures d’immatriculation génératrices de rapports de force au détriment des populations
L’immatriculation de la réserve en conditionnait la reconnaissance des droits de la communauté. Toutefois, les populations ne disposaient d’aucun moyen pour accomplir les formalités d’immatriculation nécessaires à cette reconnaissance.
Avant l’indépendance de la Guinée Équatoriale, elles sollicitaient pour cela l’aide des compagnies forestières qui, en même temps qu’elles exploitaient la réserve, entreprenaient des démarches pour sa délimitation et son immatriculation au profit des populations. Ce procédé montre clairement l’existence de rapports inégaux entre les communautés et les compagnies forestières. Inégalité induite par l’absence de contrôle de l’exploitation proprement dite par les villageois et l’absence d’un recours légal en cas de conflit, l’autorité coloniale étant par définition inaccessible aux paysans. La plupart des villages dont les forêts communautaires sont immatriculées sont situés de ce fait dans les régions côtières qui furent les premières exploitées par les compagnies forestières.
Après l’indépendance, les procédures d’immatriculation des forêts communautaire n’ont pas fondamentalement changé. Les villageois devaient faire appel à un géomètre assermenté qui délimitait la forêt et en faisait un croquis, sur la base duquel furent lancées les activités d’exploitation [1], bien souvent par des cadres ou des élites qui ont eu l’information et ont su en tirer parti.
Ceci prouvait encore une fois l’incapacité des villageois à procéder seuls aux démarches aboutissant à la reconnaissance de leurs droits: il leur faut toujours un guide qui peut être la compagnie forestière avant l’indépendance de la Guinée ou un cadre (une élite) originaire du village de nos jours.
La Guinée compte ainsi seulement 29 communautés ayant des droits reconnus sur l’exploitation de leurs réserves.
L’indépendance de la Guinée Équatoriale : Un changement idéologique qui met en péril les forêts communautaires
La prise en charge du développement par la nation et le recul des lois espagnoles sur les reservas de poblados.
La politique de la Guinée Équatoriale en matière de développement, après l’indépendance intervenue en 1968, tranche avec celle de l’époque coloniale. L’Espagne n’avait pas pour objectif de construire en Guinée une nation ou même un État; la référence à la métropole lui suffisait. Tous les peuples qui habitaient cet espace étaient de fait à une distance identique des centres de pouvoir.
Avec l’indépendance, deux problèmes se posent : il faut se détacher de la référence métropolitaine et construire une nation. L’État qui en découlera prenant en charge le développement de l’espace nationale de manière centralisée. Pour cela il a besoin de devises et, en Guinée Équatoriale, elles proviennent pour l’essentiel de l’exploitation de la forêt.
Cette implication, idéologique, de l’État dans le développement a poussé à la révision de la loi sur les reservas de poblados. Dans un premier temps, il fallait récupérer toutes les terres. La terre et les forêts, sous-entendu les ressources génératrices de devises, doivent appartenir à l’État. Les compagnies forestières reçoivent alors leurs concessions de l’État, mais doivent, en échange, respecter un cahier des charges en faveur des populations. Lorsque leurs concessions couvriront le territoire d’un ou de plusieurs villages, les exploitants forestiers devront construire routes, écoles, centres de santé et églises. L’État récupère ainsi toute la richesse naturelle du pays et se charge de la gérer pour le mieux être de l’ensemble des populations.
La conférence de Rio et la naissance des forêts communautaires
L’État dans sa forme la plus jacobine est un héritage de la colonisation. Dans son fonctionnement, il tend cependant à écarter la population de toute participation à la construction de l’ensemble et à accroître leur dépendance. Cette éviction des populations représente en soi un recul de la situation laissée par les administrateurs coloniaux. Cependant l’administration qui voulait revenir sur ces avantages d’un «autre âge» s’est vue obligée de reconsidérer sa position sur cette question des forêts communautaires après la conférence de Rio en 1992. Elle a été amenée à faire des concessions en associant les communautés villageoises à la gestion de la forêt. Toutefois cette tentative de développement partagé a posé un certain nombre de problèmes dans son application (définition de la communauté, absence de sensibilisation sur le reboisement ou sur la gestion durable, manque de formation des personnels villageois pour un contrôle des quantités exploitées et par conséquents des revenus à recevoir).
La définition de la communauté villageoise
La définition de la notion de communauté villageoise ne semble pas avoir intéressé l’administration coloniale espagnole dans la mesure où la chose paraissait simple, chaque village devant constituer une communauté. Devant l’administration coloniale espagnole toutes les communautés paraissaient égales et elles se comportaient comme telles. Les déplacements de population étant très contrôlés, les Espagnols n’ont pas connu les problèmes qui se sont posés plus tard à certains États Africains indépendants.
A l’indépendance, le problème s’est par contre douloureusement posé. La référence lointaine a laissé place à une référence locale qui n’a pas pu maintenir la distance et qui d’une certaine façon a réveillé les particularismes. Ceci a eu pour conséquence de compliquer la naissance d’une seule communauté nationale idéologique. Ce problème de communauté nationale semble ne pas se poser en Guinée équatoriale car les densités faibles en font un pays vide où il y a de la place pour tous. A l’opposé, la communauté villageoise n’est pas mieux définie que lors de la période coloniale.
Forêt communautaire et exploitation rationnelle des ressources
Par ailleurs, rien dans la législation ne laisse présager que la participation des populations au partage des bénéfices de l’exploitation des ressources forestières amènerait celles ci à mieux les préserver. On aurait pu par exemple imaginer que la loi encouragerait une politique de reboisement.
Elle aurait donné aux parents la possibilité de préparer l’intégration des enfants dans le circuit économique, en leur prévoyant dès leur naissance une rente qui se bonifierait en même temps qu’ils grandiraient. II n’en est pas question dans ces textes. Au contraire on a l’impression qu’il s’agit tout bonnement de faire des communautés de petits exploitants.
par Olivier IYEBI MANDJEK, géographe, Institut National de Cartographie /FPAE (Cameroun)
[1] Il ne faut pas perdre de vue que pendant longtemps, l’exploitation forestière a occupé une place prépondérante parmi les source de devises de l’État équato-guinéen.