Les pratiques populaires de sécurité à Yaoundé
Projet de recherche conjoint Fondation Paul Ango Ela (Yaoundé) – Laboratoire Prodig (Paris)
Responsables: Olivier Iyébi-Mandjek, géogaphe, chercheur FPAE et Marie Morelle, géographe, Maître de Conférences, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, laboratoire PRODIG
Etudiants : Stéphanie Fer, géographe, Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne
Pierre-Boris N’ndé Takukam, anthropologue, Université Catholique d’Afrique Centrale
Télécharger le rapport : Les pratiques populaires de sécurité Yaoundé juillet 2009
Lien vers article Stéphanie Fer, Marie Morelle, Olivier Iyebi Mandjek: Se protéger à Yaoundé, revue justice spatiale N°4 (décembre 2011)
Ce projet de recherche propose d’analyser les formes de production de la sécurité dans les quartiers pauvres de Yaoundé.
Dans le champ des études sur la sécurité, les recherches en sciences sociales se sont surtout concentrées sur les pays de vieille tradition urbaine a priori marqués par une criminalité forte, durable et en augmentation. En Afrique subsaharienne, le Kenya, l’Afrique du Sud et le Nigéria sont ainsi sur-représentés dans les analyses de l’insécurité, de la sécurité et des forces de l’ordre. Les chercheurs y interrogent aussi l’exportation et l’appropriation de modèles de sécurité en majorité d’inspiration anglophone et fondés sur la notion de participation des habitants[1].
En conséquence, il paraît nécessaire d’envisager la question de la sécurité dans un pays autre, où se jouent divers accords de coopérations, multilatérales et bilatérales, en particulier avec la France. De plus, cette recherche se situe dans un contexte politique spécifique : celui d’un Etat rentier, néo-patrimonial dont l’existence est consubstantielle au maintien de réseaux clientélistes et d’une corruption qui gangrène des services publics en quelque sorte « privatisés » par les agents de ce même Etat.
Dans ce contexte politique couplé à une crise économique, on peut se demander qui formule l’ordre public et pour quels intérêts ? Quels agents vont être en charge d’en assurer l’application et le respect ? En définitive, dans ce système de captation et de redistribution de la rente, il est pertinent de chercher à saisir quelles vont être les normes de fonctionnement (économiques, politiques, morales) et quels seront les éléments (discours et actes) perçus comme anormaux ?
En outre, à l’époque coloniale comme à l’Indépendance, les forces de sécurité sont davantage placées au service d’un ordre politique qu’un ordre public. La nature du régime politique, et plus concrètement le gouvernement définissent l’ordre que ce dernier souhaite imposer dans le cadre du régime politique dans lequel il évolue. Par conséquent, le secteur de la sécurité publique est soumis à une forte idéologisation. L’hypothèse serait alors qu’il est faiblement approprié par les citoyens. Ceux-ci perçoivent les forces de l’ordre (gendarmerie et police) comme des institutions sous-équipées, en sous-effectifs, mal formées, incapables de répondre à leurs attentes et parfois sources de danger. Ils estiment que l’Etat se désintéresse de l’administration de l’échelon local. Ils génèrent alors leurs propres réponses face à l’insécurité réelle et ressentie. Cela serait particulièrement avéré dans les quartiers pauvres. En effet, ceux-ci sont souvent marqués par une double spécificité : une forte présence de la violence quotidienne et des modes de régulation souvent spécifiques de l’insécurité (quasi absence des compagnies de sécurité privée, importance de groupes de résidents plus ou moins formalisés).
L’application des dispositifs de sécurité officiels étant variable, elle entraîne un relatif contournement des règles, une plus ou moins grande importance de la corruption ou des formes de résistance face aux règlements et aux lois, une adaptation à l’absence de réponse des forces de sécurité et de l’institution judiciaire. Inversement, les pratiques locales semblent influer sur les politiques, comme le montre la plus ou moins grande reconnaissance d’acteurs locaux ou la possible tolérance des forces de l’ordre envers des pratiques informelles, perçues ou non comme déviantes voire illégales, tels que certains comités de vigilance et les lynchages. Ces pratiques révèlent alors le jeu des interactions et des négociations entre les différentes sphères de gestion urbaine, qu’elles émanent des pouvoirs publics et de leurs représentants ou des habitants et des groupements communautaires.
A cet égard, le choix de Yaoundé comme terrain d’étude a sa pertinence. En effet, la capitale politique du Cameroun, également chef-lieu de province, et de département rassemble en son sein diverses institutions de rang national, provincial, départemental ou local en charge de la sécurité. Cette diversité de l’offre de sécurité peut entraîner une confusion des rôles entre les services et provoquer leur paralysie alors même que cette concentration pourrait laisser penser que la capitale bénéficie d’un encadrement sécuritaire de qualité. Il devient alors nécessaire d’analyser comment cette offre de sécurité se répartit de fait dans la ville. Quelles politiques de sécurité publique sont formulées, quelles en sont les applications, la dynamique et la pérennité ? Pour qui et où, dans une des plus grandes villes du Cameroun où la majorité de la population a vu se dégrader ses conditions de vie depuis plus de vingt ans maintenant.
Ajoutons que ce projet prend toute son acuité dans le contexte camerounais où le concept de « police de proximité » a été introduit en 2001-2002. Cette réforme a entraîné la création de quatre commissariats centraux (au lieu de l’unique commissariat central) en charge de la coordination des commissariats de sécurité publique, suivie de la mise en place de postes de police (2007). Il paraît donc nécessaire de s’interroger sur la nature de cette « proximité ». L’appropriation des autorités camerounaises d’une telle notion intéressera tout particulièrement la France, partenaire important dans cette réflexion, à l’origine des modèles d’organisation des forces de l’ordre (police et gendarmerie) et de la notion de « police de proximité ». Ainsi le Fonds de solidarité prioritaire a entre autres permis le financement de plusieurs programmes tels, en 1999 celui d’« appui à la restauration et à la restructuration du service public de la police » qui souhaitait justement réorienter la coopération vers les services de proximité et a été suivi en 2007, du programme d’« appui au renforcement des capacités opérationnelles de la police ». Dans les faits, quel a été l’impact de la diffusion d’un ensemble de dispositifs policiers hiérarchisés à travers la ville ?
Ce projet cherche à saisir la diversité des acteurs en charge de la sécurité et l’émergence de territoires de sécurité dans la capitale du Cameroun.
Il souhaite comprendre comment les réponses populaires de sécurité rencontrent, se juxtaposent et s’opposent aux réponses officielles en étudiant les dynamiques à l’œuvre dans les quartiers pauvres.
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[1] Voir par exemple les expériences de police communautaire.